Forêt Rêvée

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biologie, sciences de la vie

Alors qu’est sorti il y a peu le cinquième long-métrage de Luc Jacquet, c’est de son troisième dont nous allons parler ici : Il était une forêt.

Sorti il y a quatre ans, ce documentaire est porté par le projet d’une vie. Celle de Francis Hallé. Un dendrologue (qui étudie les arbres) romantique qui, par son amour immense et ardent pour les tropiques, a réussi à convaincre Luc Jacquet de l’intérêt de filmer les arbres tropicaux.
Francis Hallé a passé des heures dans et sur les forêts tropicales. Il a ainsi fait partie de l’équipe à l’origine de la mission Radeau des Cimes, qui a pour but de naviguer sur le haut des arbres. Lancée en 1986, elle vogue encore la Canopée et a permis à Francis Hallé d’étudier et de voir la forêt sous toutes ses coutures.

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Montrer, donner à voir, contempler la forêt.
Effectivement, les dessins de Francis Hallé sont une des raisons de visionner ce film. Perché en haut des arbres, le chercheur a été filmé des heures durant, en train de dessiner les forêts tropicales foisonnantes, vivant à un rythme bien particulier. Vision poétique un brin désuète des naturalistes.

Les belles images et la voix de Francis Hallé sont autant d’invitations contemplatives à la botanique et aux cycles de vie des forêts tropicales. Il est un peu dommage que les trop nombreuses animations virtuelles et la musique démonstrative créent un manque de naturel. Le vrai se mélange au faux. Une distance se crée. Est-ce trop beau pour être vrai ?

Effectivement, quelques omissions induisent une compréhension erronée. Et de l’oubli involontaire à la déformation, il n’y a qu’un pas, ou plutôt il n’y a qu’un arbre. Celui qui cache la forêt. Explications.

Primaire ou tropicale, la forêt ?

D’emblée, la caméra nous enchante avec des images de forêts tropicales. Peu de contexte, juste les mots de Francis Hallé pour nous expliquer l’extrême pouvoir de destruction de l’Homme. En 50 ans, il peut détruire des pans entiers de forêt tropicale et avec eux, des siècles de croissance et de développement. La vie prend du temps, la mort est rapide.
Le ton est donné. Ici, il va être question du temps de la forêt et des merveilles accomplies lors de ses cycles de vie.

Au cours des premières minutes du film, la définition d’une forêt primaire est donnée de manière intuitive – l’accomplissement de siècles de développement d’une forêt vouée à elle-même. Par contre, l’amalgame jamais détricoté se fait entre forêt primaire et forêt tropicale.
En effet, les forêts primaires ne sont pas toutes tropicales. En Europe aussi, nous avons nos forêts primaires  (voir http://www.larecherche.fr/en-europe-la-forêt-primaire).

Et si Francis Hallé nous emmène dans ces forêts tropicales sans mentionner les autres forêts primaires, c’est que quasiment toutes les forêts primaires encore existantes sont des forêts tropicales. Mais attention, toutes les forêts tropicales ne sont pas primaires, comme le laisse suggérer le film.
Un peu déçu de cette omission ? Oui, d’autant plus que rien ne nous indique clairement dans le film ce qui est spécifique aux forêts tropicales et ce qui se retrouve dans toutes les forêts primaires….

titre
Noémie Levain

Immobile pendant longtemps

Grâce au documentaire, nous explorons un cycle de vie d’une forêt tropicale primaire. Sa genèse, après destruction par l’homme commence par le développement des arbres pionniers dont la vie dure une cinquantaine d’années. Ces « premiers » explorateurs végétaux ont pour rôle de fournir un joli terreau fertile, après mort et décomposition, pour la forêt secondaire.
La forêt est secondaire parce qu’elle va se faire remplacer par la forêt primaire. Si celle-ci est laissée à son propre sort.

Ainsi tout au long de sa croissance, les plantes poussent et se combattent pour avoir accès à la lumière. Le sous-bois est touffu. Enfin, après plus ou moins sept siècles, elle arrive à maturité, lorsque les grands arbres, qui ont finalement poussé très haut, forment un toit ne laissant filtrer que peu de lumière. Les plantes habitant jusqu’alors les sous-bois désertent. Il devient facile de se promener dans la forêt et d’y abattre les arbres en toute impunité. La forêt est maintenant primaire.

Sept siècles. Le temps de développement d’une forêt tropicale primaire est long pour nous les humains.
Le grand arbre emblématique du film est le moabi géant. Il atteint 70m et vit plus de 1000 ans. Ça impressionne. Pas qu’un peu. Francis Hallé a une jolie formule « l’animal règne sur l’espace, l’arbre sur le temps ».

Sauf que tout est une question d’échelle et de point de vue.
L’arbre est certes enraciné mais si l’ensemble d’une population d’arbres est considéré, ils sont loin d’être immobiles. Ses graines et ses fruits voyagent, comme si bien expliqué dans le film, et utilisent tout tas de moyen de transport plus ou moins farfelus ( http://www.sauvagesdupoitou.com/88/552).

De plus, certains arbres vivent certes très longtemps mais pas tous.
De la même façon, si l’on considère l’ensemble de la civilisation humaine, et non plus un individu uniquement, une forêt d’individus peut vivre plutôt longtemps aussi.
Lorsqu’on mélange un peu tout, il devient difficile de savoir lesquels sont les plus vieux des deux.

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Interactions et communication

S’il y a bien un joli artifice dans le film, ce sont ces animations, dessins incrustés dans l’image. Elles ont la charmante possibilité de montrer l’invisible. Ce qui est bien pratique lorsqu’il s’agit de parler de molécules toutes minuscules et volatiles que s’échangent les plantes. Ou encore pour visualiser les réseaux de champignons mycelium souterrains tissant le sol et reliant les plantes via leurs racines, une sorte de réseau social inter-espèces.

Sans entrer dans le détail mais grâce à de jolies images et à un propos accessible à tout le monde, le documentaire passe ainsi en revue différentes interactions qui font qu’une forêt est un écosystème passionnant.
Des interactions tantôt destructrices, tantôt créatrices dont voici un petit florilège :

  • Les fourmis gardent les plantes contre les herbivores en échange d’un logement.
  • Les lianes s’enroulent autour des arbres, sans les mettre en danger, pour ne pas avoir à créer un tronc, tout en accédant à la lumière.
  • Les papillons, provenant de chenilles grandes amatrices de plantes – surtout de leur goût et nutriments – mènent un combat évolutif avec les lianes. De mutations en mutations, les lianes se protègent et feintent, les papillons s’adaptent et mangent.
  • Les arbres émettent des molécules différentes lorsqu’un herbivore commence à déguster de leurs feuilles. Ces molécules sont perçues par les voisins qui activent alors leur bouclier chimique. Leurs feuilles deviennent immangeables et sont sauvées, tandis que l’herbivore intoxiqué s’en va plus loin tout penaud.

Mais il est une interaction, énoncée dans le film, pour le moins surprenante. Les arbres pourraient appeler la pluie.
Lorsque la sécheresse survient, la chaleur insoutenable fait que les feuilles dégagent un arôme quelque peu différent. Des molécules atypiques s’échappent des arbres et montent vers le ciel. Des molécules qui agissent comme des amorces pour la pluie. Pour que les gouttes se forment, il faut en effet un germe physique, pollens, poussières, autour duquel s’agglomèrent les molécules d’eau avant de pouvoir tomber sur nos têtes.
En quelque sorte, il ne s’agit pas ici d’évapotranspiration des arbres, mais de sécrétion de molécules, indispensables à la pluie pour se former.

Intriguée, et surtout enthousiasmée par cette découverte « Gaïa-esque », je me suis ruée sur le web pour trouver le nom de ces molécules.
Dans plusieurs interviews de Francis Hallé, ce pouvoir si spécial des plantes est mentionné, mais aucune référence ne corrobore cette idée.
Et puis, lisez attentivement cette phrase énoncée par le botaniste lors d’une interview pour Télérama http://www.telerama.fr/monde/francis-halle-les-arbres-peuvent-etre-immortels-et-ca-fait-peur,34762.php :
« Enfin, des chercheurs de l’Institut national de recherche d’Amazonie (INPA) viennent de montrer que les molécules volatiles, émises par les arbres tropicaux, servent en fait de germes pour la condensation de la vapeur d’eau sous forme de gouttes de pluie. Autrement dit, les arbres sont capables de déclencher une pluie au-dessus d’eux parce qu’ils en ont besoin ! »

La dernière partie me gène. En effet, tant bien même les chercheurs de l’INPA auraient prouvé que ces molécules existent et sont essentielles à la pluie (ce que je n’ai trouvé nulle part écrit), cela ne veut pas dire que les arbres déclenchent la pluie lorsqu’ils en ont besoin. Il n’y a pas de liens entre les deux phrases. La dernière phrase est une interprétation abusive car rien ne dit quand et pourquoi ces molécules sont émises par les arbres, tout en oubliant qu’il faut aussi des conditions climatiques spécifiques, comme une humidité suffisante, sur lesquelles les arbres ont certes une influence (pensons à l’évapotranspiration) mais pas un contrôle total.

Mais voilà, il est plus facile de faire passer un message fort et simple (les arbres appellent la pluie) plutôt que de dire qu’ils ont une influence difficile à quantifier et puis que, de toute façon, il pleut toujours sur la forêt tropicale.

Peut-être que lorsque tous les arbres seront abattus, alors les pluies diminueront. Mais il est bien dommage de vouloir sauver la forêt en lui attribuant de fausses facultés. Les arbres n’ont pas besoin de cela.
Ils sont suffisamment extraordinaires ainsi.

Oui, oui. Aujourd’hui en marchant un moment dehors, regardez autour de vous et trouver un arbre.
Il doit bien y en avoir. Sinon je vous conseille de déménager.

Vous l’avez trouvé ? Alors maintenant regardez le bien.

Comme toutes les plantes, il réussit à se nourrir uniquement de lumière, d’air, d’eau, et des nutriments trouvés dans le sol.
Il assimile et transforme le carbone et libère de l’oxygène, ce qui a permis il y a longtemps et permet encore aujourd’hui de nous rendre la vie plus agréable et surtout possible. Enfin, il reste là, placide, sans broncher au moindre bruit et au moindre intempérie. Une sorte de force tranquille.

Et puis si vous voulez en savoir plus sur les pouvoirs « sensibles » des plantes, je vous conseille le bouquin La science à contrepied, écrit à presque cent mains, et qui comporte de très jolis articles sur les plantes, dont celui co-réalisé par  Ludmilla, Mel et le Professeur Seedious : Les plantes, des êtres sensibles aux talents insoupçonnés.

Moabi

Les arbres n’ont pas vraiment besoin de nous. Par contre, nous pouvons-nous vivre sans eux ?

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